Teaser d'Août - Les Artefacts Perdus
Les Artefacts Perdus
Isin Dule s'arrêta devant l'imposante porte de pierre. Ses yeux vifs examinaient sa surface, à la recherche des runes Dericostiennes au doux rougeoiement qui annonçaient la destruction instantanée de quiconque serait assez stupide pour violer cet ultime sanctuaire. Toutes les runes mortelles semblaient intactes et en bon état. Bien ; l'écoulement de plusieurs centaines d'années n'avait pas affaibli ou endommagé les gravures protectrices. C'était bien dommage, pensa Dule, qu'on ne puisse en dire autant de lui.
Il se souvint du moment où il avait scellé cette porte, inscrivant les runes de sa sombre sorcellerie. A peine avait-il mené à bien sa tâche que les Ombres fidèles à Bael'Zharon l'avaient rattrapé. Reposé et préparé, Isin Dule les aurait aisément détruites, après l'effort fourni pour sceller la porte, il n'avait aucune chance. Ses ennemis l'attachèrent à l'aide de cordes et d'enchantements, puis le traînèrent à travers le labyrinthe jusque devant le trône de son ancien seigneur. Une force magique semblable à un coup de massue le mit à genoux. Il brûlait de colère à cette humiliation.
Mais Bael'Zharon ne semblait pas avoir remarqué sa présence. Agrippant les bras de son trône d'os décolorés, ouvrant de grands yeux fixant le lointain, il grommelait et marmonnait au sujet de la vengeance qu'il accomplirait sur ses innombrables ennemis. Puis, soudainement, il éclata de rire et jeta sa tête en arrière poussant un gémissement. La colère d'Isin Dule fit place à la pitié alors qu'il réalisait que l'esprit de son ami avait totalement succombé aux tourments brisés du chaos. Isin Dule n'était pas étranger à une telle souffrance.
Finalement, les yeux de Bael'Zharon se fixèrent sur le prisonnier à ses pieds. Immobile, il ne montrait aucun signe indiquant qu'il l'avait reconnu. Au contraire, Bael'Zharon hurla de rage à cette interruption. Qui osait le déranger pour ce misérable rampant ? Il pointa un doigt en direction d'une des Ombres qui avaient participé à la capture d'Isin Dule, et l'Ombre se dissipa instantanément dans le néant, sans même avoir le temps de crier. Les autres reculèrent terrorisées. L'une, plus courageuse que les autres, balbutia qu'il s'agissait d'Isin Dule. Isin Dule, le traître insultant pour qui Bael'Zharon avait envoyé des centaines de ses meilleurs champions pour le capturer. Pendant un moment, le désarroi passa sur le visage aux traits absurdes du suzerain, mais finalement, il eut un regard d'entendement.
"Ah ! Isin Dule !" dit Bael'Zharon d'une voix grinçante. "Ton infidélité ne connaît pas de limites, semblerait-il. Me trahir pour mes ennemis n'était pas suffisant ? Maintenant tu veux te soustraire à moi ? Les anciens Yalaini ne t'ont-ils rien enseigné de la fidélité envers le séminaire ?" Bael'Zharon en beuglant eut un rire perfide et audacieux.
"Ca n'a pas d'importance," continua-t-il, après qu'il fut évident qu'Isin Dule ne répondrait pas. "Ta trahison a été inutile. Dans quelques temps, j'arracherai le cœur palpitant de la poitrine du jeune mage Asheron et je savourerai son goût. Alors tu recevras ta punition." Il fit un geste à la plus grande des Ombres qui se tenaient autours de son trône. "Ferah ! Ôtez ce traître de ma vue. Assurez-vous qu'il ne se libère pas de ses liens."
Ferah la Noire inclina la tête d'une manière terrible, et des liens d'une force invisible encerclèrent le corps du captif. Contre sa volonté, Isin Dule se retrouva stupéfié en position verticale et trébuchant derrière ses gardes alors qu'elle le faisait sortir en silence de la salle. Isin Dule était surpris par la Force de Ferah la Noire. Elle était devenue plus puissante depuis qu'ils avaient combattu ensemble en tant qu'alliés contre la Lumière.
Ainsi asservi et impuissant, Isin Dule fut conduit au champ de bataille final. Là il regarda les fidèles subordonnés de la Lumière et de l'Ombre se massacrer jusqu'à ce que l'endroit soit devenu une mer de sang et d'ichor. Inévitablement, à l'issue, Asheron lui-même fut contraint de s'en mêler. Les Ombres et les monstres se retirèrent par peur, mais c'était le moment que Bael'Zharon avait tant attendu. Etendant ses vastes ailes semblables à du cuir, l'ancien maître d'Isin Dule s'avançait, masquant tout ce qui l'entourait. Devant la terrible puissance de Bael'Zharon, Asheron paraissait être un moins que rien.
Mais alors Asheron utilisa son dernier sort, le plus puissant, et l'inébranlable assurance de Bael'Zharon vacilla. Isin Dule sentit une vague de surprise de la part d'Asheron également. Quelque chose allait de travers, la magie était trop puissante à contrôler. Isin Dule observait tandis que les flammes virulentes mystiques accablèrent et consumèrent Asheron, puis bondirent en avant pour avaler Bael'Zharon à son tour. Et alors les maîtres de la Lumière et de l'Ombre n'étaient plus. Dans son cœur, Isin Dule sentit que son ami était vraiment parti. Il s'effondra sur le sol dans la douleur.
Ferah la Noire, elle aussi, s'écroula. Elle hurla de douleur et d'affliction, d'un cri différent de tout ce que Isin Dule avait jamais entendu. Il ressentit un instant de la pitié pour son âme perdue. Mais cette pitié se transforma en abasourdissement lorsqu'elle bondit sur ses pieds et l'empoigna. Bien plus forte qu'Isin Dule à bout de forces, elle le projeta aisément à terre. Son âme sombra dans l'agonie alors qu'elle criait vengeance. Il était le meurtrier de Bael'Zharon, se lamenta-t-elle. Elle le ferait payer pour sa traîtrise jusqu'à ce que les étoiles elles-mêmes meurent.
Et elle avait tenu sa parole. Pendant les siècles qui suivirent, Ferah la Noire inventa d'innombrables tortures subtiles pour son prisonnier impuissant. Quoi qu'il en soit, elle ne l'avait jamais assez poussé à bout afin que son esprit ne se perde pas totalement. Il était toujours capable de rassembler les lambeaux de sa rationalité avant l'assaut suivant. Après de nombreuses années passées de la sorte, Isin Dule réalisa qu'elle ne pouvait se résoudre à détruire le dernier lien existant qu'il lui restait avec son bien aimé suzerain. Et il ressentit de la compassion pour elle, d'une certaine manière, alors que les punitions perverses de Ferah lacéraient son corps et ravageaient son esprit. Après tout, elle était restée fidèle à Bael'Zharon, Isin Dule l'avait trahi deux fois, la première fois lui coûtant sa forme physique, la seconde sa vie. La souffrance d'Isin Dule n'était pas totalement injuste. Sa seule consolation, en fin de compte, était que son ami Ilservian reposait peut-être en paix...
Les vieux souvenirs s'estompèrent une fois de plus dans l'esprit d'Isin Dule, et il se trouvait à nouveau debout devant la grande porte de pierre et ses runes rougeoyantes.
Alors qu'il s'apprêtait à annuler les protections, Isin Dule remarqua quelque chose qui le fit s'interrompre : les os rongés d'un Tumerok mort depuis longtemps, éparpillés auprès de la porte. C'était étrange et inquiétant qu'un mortel eut pénétré si loin dans le labyrinthe. Tout autant déstabilisantes étaient les profondes marques de dents sur le squelette décoloré. Clairement, un animal s'était nourri du corps du Tumerok après qu'il soit mort. Mais comment se pouvait-il qu'une bête, un simple charognard, ait pu s'approcher si près du sanctuaire d'Isin Dule ? Ca devrait être impossible pour le moindre animal d'atteindre cet endroit. Le plus ordinaire des gardes de l'extérieur aurait du le faire errer alentours le labyrinthe pour le reste de sa vie. A moins que les gardes de l'extérieur n'aient été compromis...
A présent, la confiance d'Isin Dule s'était transformée pour presque céder la place à un sentiment de panique. Il lança prestement les contre-sorts qui permettraient le passage, et observait que les runes rougeoyantes s'évanouissaient dans un clignotement, une par une. Une fois les runes dissipées, la porte de pierre commença à s'ouvrir d'elle-même en frottant. Isin Dule passa aussitôt que l'entrebâillement lui en laissa la place, mais déjà il sentait les pouvoirs manquants qui auraient du se tenir à l'affût de son arrivée. Il examina chacun des cinq socles alignés contre les murs du caveau. Tous vides. Les cinq artefacts qu'il avait cachés là, emmurés derrière une magie suffisamment puissante pour repousser Bael'Zharon lui-même, avaient disparu.
Isin Dule avait payé pour leur sauvegarde par des siècles d'agonie. Et pourtant, ils avaient été volés. Isin Dule baissa un moment la tête dans une fureur réprimée, puis il laissa la rage filtrer hors de lui et s'évanouir. La colère ne l'aiderait pas en cet instant. Laissant ses sens parcourir librement la pièce, il essaya de reconstituer ce qui s'y était passé.
Là – la puanteur du chaos. Aussitôt qu'il l'avait cherchée, il l'avait sentie tout autours de lui. Toutes les créatures étreintes par l'Ombre en étaient entachées, Isin Dule lui aussi, et ce chaos pouvait être ressenti après même que la créature soit partie. Mais ce résidu chaotique était immensément plus fort, et d'une manière ou d'une autre plus corrompu, que ce qu'Isin Dule avait jamais ressenti auparavant. A l'exception d'une seule entité - Bael'Zharon lui-même. Isin Dule trembla. Se pouvait-il que son vieil ami soit revenu d'une quelconque façon de l'annihilation ? Non, c'était impossible.
Alors que les sens d'Isin Dule continuaient à se déployer, il rassembla les éléments de la méthode que l'intrus avait employée pour entrer. Il avait manifestement possédé le corps du Tumerok mort, l'utilisant pour passer les nombreuses protections qui repoussaient les créatures de l'Ombre. Puis il avait trouvé la solution du labyrinthe, une difficile prouesse, mais pas pour un être d'une intelligence supérieure. Et pour finir, il avait projeté le corps du Tumerok contre la porte finale. Bien entendu les runes mortelles avaient anéanti la pauvre créature. Mais à cet instant la malédiction des runes s'étant concentrée sur le mortel sacrifié, l'entité elle-même s'était glissée par les interstices de la magie et avait pénétré dans le sanctuaire même.
C'était un plan ingénieux. Ingénieux et cruel. Dule étira ses sens encore plus loin, empoignant les tourbillons du chaos et de l'ombre. Quelque part dehors, le voleur attendait, si seulement il pouvait repérer son emplacement...
Quelque chose le toucha derrière. Le toucha, et puis l'agrippa, avec la force d'un millier d'âmes démentes. L'étreinte le poussa en avant, mais Isin Dule était prêt. Prononçant un seul mot de pouvoir, il se libéra. Et il s'enfuit pour sauver sa vie, réempruntant les voies de la sorcellerie, de retour dans les méandres de son esprit, et finalement dans son vieux corps si familier.
Il avait presque été piégé. Il avait presque été détruit.
Quelque part dehors, le voleur l'attendait. Il l'observait, il le testait, et il en avait presque fait sa proie avant même de connaître son nom. Isin Dule comprit soudainement, avec une certitude terrible, qu'il ne pourrait jamais parlementer avec cet être. Son Ombre s'étendait plus loin que la sienne. Si Isin Dule osait le défier, ses plus grandes ténèbres l'enseveliraient facilement. Probablement finirait-il comme son esclave, ou pire.
Et il avait pris les artefacts ! Seuls des artefacts d'une telle puissance auraient pu nuire à cet être terrible. Ils pourraient peut-être encore être utilisés contre lui si seulement on les retrouvait. Oui, Isin Dule le réalisa, les artefacts devaient être retrouvés – mais pas par Isin Dule lui-même. Seule la Lumière serait capable de tenter quelque chose contre ce nouvel adversaire. Toute créature de l'Ombre sombrerait en sa présence.
En dépit de sa tristesse, Isin Dule sourit d'un air las. Comme toujours, semblait-il, sa puissance était insuffisante pour atteindre la rédemption pour ses nombreux crimes. Seuls les mortels seraient capables de se sauver eux-mêmes.
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